Entreprises : pas d’engagement sans réciprocité

Entreprises : pas d’engagement sans réciprocité

L’engagement est un fantasme pour tous les dirigeants, mais force est de constater que les résultats sont rarement au rendez-vous. Prenons le temps de comprendre ce qu’est l’engagement et pourquoi il doit être réciproque.

Nouveaux enjeux, nouvelle entreprise

À moins que vous ne soyez un Trumpien de la première heure, il est impossible que ce constat vous ait échappé : notre monde n’a jamais été aussi menacé. Changement climatique, pollution, appauvrissement de la biodiversité mais aussi injustices sociales, insécurité ou atteintes sérieuses à la démocratie… Au point que l’ONU prend réellement position : “Si nous ne changeons pas d'orientation d'ici 2020, nous risquons (...) des conséquences désastreuses pour les humains et les systèmes naturels qui nous soutiennent" (Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, 10/09/18). Bref. Le monde va mal et les entreprises n’y sont pas pour rien. Sans y passer des lustres, ça se saurait si la RSE avait été au coeur des décisions stratégiques des entreprises pendant les 50 dernières années. Il est donc normal que ces enjeux deviennent des préoccupations de poids pour la majorité des habitants de cette planète, qu’ils soient agriculteur en Californie, startupper au Kenya ou chef d’entreprise à Bagnolet (oui c’est moi ça). Et qu’ils fassent le lien avec le monde de l’entreprise.   

De l’autre côté, nous connaissons un essor technologique inédit, qui apporte lui aussi son lot de nouveaux enjeux. Automatisation des tâches, intelligence artificielle, nanotechnologies pour les plus marquants mais aussi captation et exploitation de données ou révolution de l’information et de la communication… La liste est longue. Des révolutions successives qui impactent toujours plus le quotidien de tous, dans leur travail, vie sociale, loisir ou citoyenneté.

Nouveaux enjeux sociétaux d’un côté, technologiques de l’autre : difficile pour les entreprises de conserver leur position sans changer plus ou moins radicalement ce qu’elles sont et comment elles font les choses. Changer de modèle, de culture, de proposition de valeur, et plus largement de fonctionnement, est devenu une condition de survie absolue dans le monde de l’entreprise. Tout le monde en parle, peu agissent vraiment, beaucoup stagnent dans un consensus stérile. Pendant ce temps-là, les géants du web s’attaquent à tous les secteurs et consolident leur puissance, les nouveaux acteurs grignotent les parts de marché petit à petit et les partenaires d’antan deviennent des concurrents. C’est peut-être le moment d’amorcer une vraie transformation ?  

Pas de changement sans engagement

Pour passer d’un modèle économique linéaire à un modèle circulaire, ou d’une proposition de valeur basée sur l’expérience client plutôt que sur le produit, il y a un pré-requis absolu que toute entreprise doit prioriser : l’engagement des publics dans cette démarche. On est très loin de l’engagement “vendu” par les grandes social network, on parle d’un engagement concret qui se traduit par des actes, nourrit des objectifs et bien entendu se mesure.

Si vous commencez à vous dire que le sujet est bel et bien stratégique pour votre entreprise, vous pouvez télécharger notre petit manifeste de l’engagement (publié en 2015).

L’erreur la plus souvent commise dans les stratégies d’engagement est simple : l’engagement des publics est traité à différents niveaux tactiques et opérationnels (marketing, RH, RSE) mais pas au plus haut niveau stratégique. Chacun de ces services met en place des leviers différents, sans effets de synergie ni sens partagé. Les DRH vont tenter d’impliquer les collaborateurs en leur permettant de peser sur certaines décisions (non stratégiques) ou de les fidéliser grâce à la flexibilité du travail ou à la formation. De leur côté, les services marketing cherchent à créer une préférence de marque en suivant le consommateur là où il va et en créant des “contenus” engageants ou à construire des relations enrichies avec lui en animant des communautés de marque. Ces actions ne sont pas vaines mais restent de simples rustines, au mieux des boosters ponctuels, par rapport aux enjeux réels.

Les études et les faits convergent, les collaborateurs tout comme les consommateurs recherchent du sens dans leurs actions : À quoi sert mon travail ? Vers où se dirige mon entreprise ? Qu’est-ce qui se cache derrière le produit que je consomme ? En résumé : pourquoi ? Pourquoi je choisirais cette entreprise... et donc cette marque ? Un outil permet d’aligner les actions de l’entreprise, de projeter le futur désiré par les dirigeants et de fédérer les parties prenantes autour de celui-ci durablement, c’est la raison d’être. Le sujet est tellement central que le gouvernement français modifie le Code Civil et le Code du commerce pour permettre d’inscrire la raison d’être dans les statuts de l’entreprise. Et le ministre de l’Economie et des Finances, d’ajouter : “Si une entreprise demain veut être profitable, reconnue par nos concitoyens, la raison d'être va devenir un passage obligé, pour mobiliser les salariés, les fournisseurs, les clients, les actionnaires autour d'un objectif commun.” (Les Echos, 09/04/18). Mieux vaut tard que jamais.

Une raison d’être porteuse est donc une première brique essentielle pour engager les publics directement en contact avec l’entreprise. Mais aussi pour construire une influence positive auprès de publics plus indirects, comme le monde associatif ou les pouvoirs publics, qui peuvent lui faciliter la tâche (ou pas).

S’aligner avec les attentes de ses publics

Savoir pourquoi on choisit telle ou telle direction c’est bien. Mais a priori, il faut que la direction fédère et nourrisse une dynamique. Là encore, de plus en plus d’études font remonter une motivation croissante de la part des Français (et ça marche pour tous les pays occidentaux) de contribuer à un monde meilleur. Les fameux enjeux sociétaux… Vous vous souvenez ? 90% des Français attendent des marques qu’elles s’engagent vraiment (étude de Denjean & Associés, 2017), 76% des moins de 40 ans mettent la RSE devant le salaire dans leur recherche d’emploi (e-RSE)… Les actions des entreprises impactent directement leur réputation, et c’est encore plus vrai chez les jeunes générations, hyper-informées et moins figées dans les modèles du passé, pour qui le bien commun a encore plus d’importance. Qui n’a pas rencontré un cadre de 35-45 ans, qui gagne très bien sa vie, et qui a tout quitté pour monter sa petite entreprise ? Ou cet étudiant qui n’a jamais mis les pieds dans une grosse entreprise et qui affirme haut et fort qu’il ne le fera jamais ? Je n’ai pas de statistiques probantes sur la difficulté à attirer et retenir les meilleurs profils mais les DRH savent de quoi je parle.

Pourquoi ne pas se contenter de 2, 3 engagements pas très engageants, histoire de calmer tout ce petit monde ? Ça c’était avant. La recette commence même à apporter son lot de problèmes (merci Cash Investigation). Cadre législatif, besoins de communication interne, essor des technologies de l’information, tout converge vers davantage de transparence. Les tactiques de feu d’artifice publicitaire ou discours de dirigeants sans actions ne convainquent plus. Pour apporter de réelles solutions aux nombreux enjeux sociétaux auxquels nous devons faire face et faire de ces impératifs des opportunités, il faut modifier la manière de les traiter. Ils doivent occuper une place centrale dans la raison d’être de l’entreprise sous peine de toujours passer après les enjeux business. À court, moyen et long terme, les engagements sociétaux de l’entreprise doivent converger avec ses enjeux business. Ils doivent devenir de nouveaux leviers de développement, à condition de bien les choisir évidemment.

Question de pouvoir

Pourquoi attendre des entreprises qu’elles fassent le bien ? La question est légitime. Rares sont les théories économiques qui mettent la contribution au bien commun dans l’équation. Mais nous l’avons vu, le contexte a beaucoup changé, les enjeux sont vitaux, et la responsabilité des entreprises dans la création de tous ces problèmes est reconnue (ce n’est qu’une question de temps pour celles qui sont épargnées).

Mais la bonne nouvelle, c’est que les citoyens / consommateurs / collaborateurs, reconnaissent également les qualités des entreprises. Leur rôle dans la création d’emplois certes, mais aussi et surtout leur capacité d’action. S’adapter, apporter des solutions, aller vite et faire tout ça à grande échelle, celle d’une région, d’un pays voire de la planète entière. “Aller vite”, l’allégation peut sembler irréelle dans bon nombre d’entreprises, mais l’impératif existe bel et bien : d’un côté, il y a une urgence absolue de changer les modèles, de l’autre, le désengagement et les attaques envers les entreprises “non-engagées” s’accélèrent et offrent autant d’opportunités au développement de systèmes alternatifs. Le point de bascule est atteint sur de nombreux secteurs.

Moralité, en l’absence de systèmes de gouvernance mondiale qui fonctionnent, les entreprises ont le pouvoir de jouer un rôle de “sauveurs”, de défenseurs de l’intérêt collectif en faisant ce qu’elles savent faire de mieux : performer. Performer, oui, mais pas n’importe comment….

Devenir une marque engagée

Même si c’est un défi de taille, il ne suffit pas de mettre des progrès sociétaux dans sa raison d’être pour devenir une marque engagée. Il faut agir comme tel à chaque instant et faire que cette raison d’être résonne dans toutes les décisions de l’entreprise.

Prenons le cas d’Airbnb, une marque qui a rapidement intégré une dimension sociétale à sa raison d’être (“To inspire people to live everywhere in the world”) et qui est déjà très avancée dans l’alignement avec ses actions. Création de la plateforme OpenHomes qui permet d’héberger temporairement sans-abris et réfugiés, politique de non-discrimination (qui peut mener à la suspension du compte d’un hôte) et évolutions de l’expérience utilisateur pour prévenir ce type de comportement, campagne de sensibilisation au droit au mariage pour la communauté LGBT, création de micro-communautés (les Home Sharing Clubs) partout dans le monde dédiées à l’amélioration des conditions d’hébergement entre particuliers, concours de design d’habitat pour aider les victimes de catastrophe naturelle ou encore le bien nommé poste de Head of Employee Experience qui permet à “l’Airfam” (pour Famille Airbnb, ndlr) de multiplier les performances... tout va dans le même sens (et j’ai dû couper au montage) et doit aider tous les publics de la marque à se sentir bien où qu’ils soient.

Ça y est. On a une idée de ce qu’est une entreprise engagée. Mais pour tirer tous les bénéfices de ses engagements et devenir une marque engagée, elle doit savoir les valoriser, les faire connaître à ses publics stratégiques et à ceux qui les influencent, en s’appuyant sur la créativité de ses communicants. Une étude américaine (Sheldon Group) a ainsi mis en lumière que 92% des consommateurs ne sont pas capables d’identifier clairement les entreprises qui s’engagent. Manque de légitimité ou de potentiel sur la cause choisie ? Dissonances entre les actes et les mots ? Dispersion sur trop de causes ? Ou manque de maîtrise des systèmes de communication d’aujourd’hui ? Les pièges sont nombreux et les erreurs faciles. Mais quand tout s’aligne, que les engagements de la marque ne contredisent plus son modèle, sa politique d’achats ou la gestion du capital humain, les communications internes, institutionnelles et commerciales deviennent plus poreuses et convergent dans une même direction. Quand Airbnb fait savoir qu’elle s’engage dans la lutte contre les discriminations, la marque adresse tous ses publics d’une seule et même voix : collaborateurs, hôtes, voyageurs, partenaires, ONG, pouvoirs publics et médias. Et se met en ordre de marche pour agir à tous les niveaux, en commençant par les recrutements. D’ailleurs, une règle existe chez Airbnb : “personne ne doit apprendre quelque chose sur l’entreprise par l’extérieur”. Une bonne communication est le ciment de l’engagement.

L’engagement réciproque est vertueux

C’est le dernier paragraphe. Respect à ceux qui sont encore là.

La marque engagée (et surtout les preuves qu’elle apporte) fédère ses publics et ceux de ses dirigeants. Mais quels bénéfices concrets peut-elle attendre de cette démarche ?

Il faut tout d’abord différencier les publics stratégiques des publics facilitateurs. Les premiers, comme leur nom l’indique, doivent nécessairement être engagés pour la pérennisation de la marque. Ses collaborateurs, certaines communautés de clients, parfois ses fournisseurs (les hôtes dans le cas d’Airbnb) ou partenaires. Les seconds ne seront pas engagés à proprement parler, mais interviendront à différents niveaux dans la stratégie d’engagement. Il s’agit des médias, associations professionnelles, pouvoirs publics, financiers, organisations syndicales ou ONG dont les postures et actions influencent positivement les publics stratégiques et peuvent même faciliter les initiatives de la marque.  

Concentrons-nous sur les bénéfices de l’engagement proprement dit. Quand on croise les données, de grands indicateurs communs aux publics internes et externes apparaissent : perception positive, fidélité, recommandation auprès de son cercle, sensibilité au prix (ou à la rémunération), implication dans l’évolution de la marque (proactive ou stimulée)... Mais ses bénéfices sont bien plus nombreux et hétérogènes. Reprenons Airbnb et ses multiples publics stratégiques. Les collaborateurs se sentent soutenus et libres de prendre des risques et sont donc proactifs, ce qui a l’air de sourire à l’entreprise. Toujours côté RH, en 2016 la firme ouvre 900 postes et reçoit… 180 000 CV. Not bad. Côté “fournisseurs”, des centaines de “community leaders” sont rémunérés pour recruter, aider et fidéliser de nouveaux hôtes. Résultats : une communauté de leaders impliquée et extensible, des initiatives spontanées pour améliorer l’hospitalité des hôtes et donc l’expérience voyageur, une communauté d’hôtes qui a dépassé le million de membres (dont 90% consultent les messages de la plateforme) et 4 millions d’hébergements (chiffres de 2017), ainsi que +400 000 Superhosts qui cumulent des notes de +4.8/5, +90% de taux de réponse sous 24 heures et +10 hébergements par an.  

En fonction de l’entreprise, de son modèle, de sa maturité, du niveau d’implication attendu, les indicateurs de l’engagement diffèrent très largement. Si un consultant en consulting arrive avec des indicateurs standards dans votre bureau, swipez à gauche. Par contre, si vous souhaitez mesurer des bénéfices concrets et inscrire votre stratégie dans la durée, voici, dans les grandes lignes, la méthode de mesure que nous avons développée dans le cadre des stratégies d’engagement que nous mettons en place :

  • Catégorie 1 / Je connais

→ il s'agit d'indicateurs liés à la notoriété

  • Catégorie 2 / Je comprends

→ il s'agit d'indicateurs liés à la perception

  • Catégorie 3 / J’adhère

→ il s'agit d'indicateurs liés au plébiscite et à l’incarnation  

  • Catégorie 4 / Je réagis

→ il s'agit d'indicateurs liés à l’action réactive, à la réponse aux stimuli

  • Catégorie 5 / J’agis

→ il s'agit d'indicateurs liés à l’action proactive, à la prise d’initiative

Comme vous l’avez compris, il y a une notion de paliers, de pré-requis avant de demander la lune à vos publics. En fonction de la stratégie et de sa courbe de progression, chaque catégorie peut accueillir plusieurs indicateurs, plus ou moins engageants. Ces indicateurs sont à définir collaborativement avec les dirigeants de l’entreprise pour garantir leur pertinence, leur mesurabilité et l’alignement de ses actions.

Si vous avez tenu jusqu’ici, bravo et merci, c’est que le sujet vous a titillé. D’autres éclairages sont à venir donc n’hésitez pas à vous abonner à la newsletter uzful ou à rejoindre mon réseau. Et si vous souhaitez rebondir sur celui-ci, les commentaires sont ouverts. N’hésitez pas !


Tatiana Okutina

Marketing and CX Consultant

5y

Je suis impressionée, Gilles. Merci pour un regard précis et large en même temps, sur le sujet de l'engagement. Tu as évoqué la nouvelle génération qui est plus attentive au choix des entreprises qui sont RSE, tandis que le choix d'être RSE est coûteux à court terme, et c'est rarement une vraie priorité des entreprises avec une longue histoire. Et c'est vrai - cela reste, au final, dans les discours stériles, ou en débats sans issu. Je me dis donc qu'il y a une autre manière de faire bouger les lignes - en ciblant les jeunes engagés (les collaborateurs mais aussi les créateurs et les habitants au sens plus large), trouver des solutions agiles sociétalement durables, sur des sujets précis et concrets, pour mettre toute l'entreprise en mouvement. Je serai ravie d'en échanger de vive voix :) Merci pour cet article encore une fois.

Thomas Lapergue

CMO 🙋♂️ HelloBuddy 🚀 plateforme d’évaluation de formations, d'alternances & de missions. Satisfaction, acquis, impact, nous collectons les retours à chaud et à froid de l'apprenant, de son formateur et du manager.

5y

Salut Gilles, Il serait intéressant que tu décrives ce que vous avez du mettre en place en terme d'engagement chez Uzful : actions, bénéfices, points d'amélioration.  Cela compléterai la vision exposée. A te lire :)

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